AUTANT ou AU TEMPS pour moi
Publié le 9 Février 2013
et oui encore une question d'orthographe
j'ai parié avec mon fils en voyant dans un dessin du <Femina> joint à Corse matin on a gagné tous les deux... pfff
mais franchement j'étais sûre de moi
(Voir aussi les inventions humoristiques.)
Pour Le Français correct de Maurice Grevisse et Le Petit Robert, la bonne graphie est « au temps pour moi ». L’origine avancée est militaire (« temps » successifs de maniement d’arme, voir l’expression au temps pour les crosses [de fusil]).
L’expression est utilisée par celui qui, investi de l’autorité (quelle qu’en soit la nature), vient de faire commettre une fausse manoeuvre collective et, par extension, par celui qui s’est trompé et s’en rend compte avant les autres.
Adolphe V. Thomas écrit ainsi dans l’article « temps » du Dictionnaire des difficultés de la langue française (Larousse) :
« Au temps - autant. Malgré certaines hésitations [1], le commandement usité à la caserne, dans les salles de gymnastique, etc., pour faire recommencer un mouvement doit s’orthographier au temps ! (et non autant !) : Il avait dit gaiement « Au temps pour moi ! » (J.-P. Sartre, Le Mur, 156). Voici du monde. Au temps ! Le cocktail dans ma chambre (Tristan Bernard, My Love, I, 1).
« En effet, un temps, c’est le « moment précis pendant lequel il fait faire certains mouvements qui sont distingués et séparés par des pauses » : Charge en quatre temps, en douze temps. Se rappeler le populaire En deux temps, trois mouvements. De plus, l’italien possède l’expression équivalente, qui se dit Al tempo ! et reproduit littéralement le français Au temps ! »
Néanmoins, d’éminents participants au forum f.l.l.f. — minoritaires mais déterminés — revendiquent l’usage de autant pour moi (forme elliptique de c’est autant pour moi). On verra plus bas qu’ils ont reçu un appui aussi solide qu’argumenté.
Attention ! En tout état de cause, on doit utiliser autant pour moi s’il est question d’une même chose ou d’une quantité et non d’une erreur, même si l’on a l’habitude, dans ce dernier cas, d’utiliser au temps pour moi.
Au café avec des amis, on peut avoir le dialogue suivant :
LE GARÇON
— Pour Monsieur ?
PREMIER CLIENT
— Un demi.
LE GARÇON
— Et pour Monsieur ?
SECOND CLIENT
— Autant pour moi [un demi]...
Euh... Au temps pour moi ! Un café.
Contrairement à l’opinion commune (mais la tradition est portée par la tradition sans nécessairement chercher d’autres justifications), Claude Duneton écrivait ceci le 18 décembre 2003 dans la rubrique « au plaisir des mots » du Figaro :
« [...] Autant pour moi est une locution de modestie, avec un brin d’autodérision. Elle est elliptique et signifie : Je ne suis pas meilleur qu’un autre, j’ai autant d’erreurs que vous à mon service : autant pour moi. La locution est ancienne, elle se rattache par un détour de pensée à la formule que rapporte Littré dans son supplément : Dans plusieurs provinces on dit encore d’une personne parfaitement remise d’une maladie : il ne lui en faut plus qu’autant [...] elle n’a plus qu’à recommencer. »
« Par ailleurs, on dit en anglais, dans un sens presque analogue, so much for... « Elle s’est tordu la cheville en dansant le rock. So much for dancing ! » (Parlez-moi de la danse !) So much, c’est-à-dire autant. C’est la même idée d’excuse dans la formulation d’usage : Je vous ai dit le « huit » ? Vous parlez d’un imbécile ! Autant pour moi : c’est le dix qu’ils sont venus, pas le huit. Le temps ici n’a rien à voir à l’affaire. Du reste on dit très rarement autant pour toi, ou autant pour lui, qui serait l’emploi le plus « logique » s’il y avait derrière quelque histoire de gesticulation.
« Par les temps qui courent, j’ai gardé pour la fin ma botte secrète, de quoi clore le bec aux supposés gymnastes et adjudants de fantaisie dont jamais nous n’avons eu nouvelles. Dans les Curiositez françoises d’Antoine Oudin publié en l’an de grâce 1640, un dictionnaire qui regroupe des locutions populaires en usage dès le XVIe siècle, soit bien avant les chorégraphes ou les exercices militaires on trouve : Autant pour le brodeur, « raillerie pour ne pas approuver ce que l’on dit ».
« Aucune formule ne saurait mieux seoir à ma conclusion [...]. »
Grevisse et Goosse évoquent le sujet dans le Bon Usage [2] :
Les phrases injonctives sont souvent averbales, par souci d’efficacité. Silence ! Pas un mot ! Hors d’ici ! — Le domaine militaire est riche et largement connu : En joue… feu ! — Quart de tour à gauche… gauche ! — En place… repos ! etc. — Certaines formules sont devenues opaques, comme Au temps ! [3] (pour les exercices militaires ou gymniques qui se font en plusieurs temps), c’est-à-dire sans doute « Reprenez le mouvement au temps [initial] » : Recommencez ce mouvement en le décomposant.
Au temps ! Au temps ! Je vous dis que ce n’est pas ça. Nom de nom. […] voulez-vous mettre plus d’écart entre le premier mouvement et le second ! (Courteline, cit[é par] Rob[ert]) — Au temps ! crie Brague. Tu [= un jeune apprenti acrobate] l’as encore raté, ton mouvement ! (Colette, Vagabonde, Pl., p. 1112.) — Au temps pour les crosses ! quand, dans le maniement des armes, « le bruit des crosses n’a pas été synchrone » (Ac[adémie]. 2001 [4], s. v.[= « sous le mot ».] crosse).
Remarque. — Ces expr[essions] reçoivent parfois des applications figurées : À chaque nouvelle catastrophe, il constatait d’un air ravi : Au temps pour les crosses ! (Dorgelès, Réveil des morts, p. 110.) — La truite fit son entrée sur un plat d’argent […], portée par une Brunehaut [la bonne] hiératique. […]. Puis le plat prit un léger mouvement de roulis […]. / La truite était sur le tapis. Brunehaut dit calmement […] : / – Au temps pour les crosses ! (J. Duché, Elle et lui, p. 147.) — De là, Au temps pour moi, dit par qqn qui reconnaît sa responsabilité, son erreur : Il [= un jeune bourgeois] avait fait une erreur dans un raisonnement délicat et il avait dit gaiement : « Au temps pour moi. » C’était une expression qu’il tenait de M. Fleurier [son père] et qui l’amusait (Sartre, Mur, L. P., p. 176).
Au temps est souvent altéré en autant : cf. Trésor [de la langue française], t. 16, p. 45 ; Bernay et Rézeau, Dict. du fr. parlé, p. 29. — Damourette et Pichon, § 2690, se demandent si autant n’est pas la forme primitive. [5].
Nous n’avons pas trouvé trace de cette expression dans la 4e édition (1949) du Bon Usage. En revanche, la 11e (1980) [6] reprend cette argumentation au § 2540, 2°, note 1, en ajoutant une référence — disparue ultérieurement — à André Thérive (Querelles de langage, tome II, p. 25) qui pensait que au temps ! « pourrait n’être qu’une orthographe pédantesque [pour autant], dont l’origine serait assez récente. »
Entre le Al tempo de Thomas et le so much for de Duneton, les exemples étrangers se contredisent.
Sur l’explication traditionnelle au temps, on peut se reporter à cette vidéo de la série « Merci professeur ! » accessible sur le site de TV5. Bernard Cerquiglini, avec sagesse, considère qu’il y a lieu, même en cas d’erreur commise par le locuteur, d’admettre la graphie autant pour moi. La prudence de Grevisse devrait inciter les irréductibles tenants d’ au temps à faire preuve pour le moins de tolérance.
Le plus surprenant, à nos yeux, est le si fréquent retour de cette question, au point que cette page fut, des années durant, la plus consultée du site. Or ce n’est pas un sujet majeur ; il est même, pour tout dire, relativement anodin. Les interrogations sur les graphies autant/au temps pour moi témoigneraient-elles d’un excessif souci d’accéder à la vérité langagière immanente et révélée ?
Voyons-y plutôt l’expression d’une curiosité bien française sur la langue... alors même que la libre réflexion sur la langue et ses évolutions peut conduire à admettre plusieurs graphies possibles pour cette locution.
C’est la raison pour laquelle, en dehors du cas où autant s’impose parce qu’il est question de quantité, nous vous laissons le choix. Cela devrait départager ceux qui, ayant fait leur service militaire, tiennent à un au temps qui leur rappelle qu’ils ont été jeunes, comme à ceux qui, parce qu’ils n’en ont pas gardé un bon souvenir, prohibent pour eux-mêmes l’usage d’une expression qui leur rappelle le souvenir abhorré du maniement d’armes et de l’ordre serré.
On trouvera sur cette autre page les propositions argumentées de graphies alternatives dues à l’imagination délirante des participants au forum f.l.l.f.
Cette question a également été traitée par le site d’informations en ligne Rue89. Langue-fr.net avait été contacté pour l’occasion.
[1] Thomas revendiquant d’être normatif, on appréciera à leur juste valeur la mention « certaines hésitations » qu’il mentionne sans les condamner, même s’il entend indiquer par la suite « le droit chemin »
[2] 14e édition, 2007, § 411, remarque 1.
[3] NDÉ. — C’est nous qui soulignons.
[4] 9e édition du Dictionnaire de l’Académie, dont le tome premier a été publié en 1994.
[5] NDÉ. — C’est nous qui soulignons.
[6] La dernière dont Grevisse ait, seul, assumé la totale responsabilité et qui ait été publiée de son vivant.
Les remarques des fautes